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Vous m'avés ecrit deux lettres, si remplies de reflexions justes et philosophiques, deux qualités, qui devroient
toujours être ensemble, mais qui ne le sont, que rarement, que si j'avois moins envie de m'instruire, que de briller, je
trouverois mon avantage à n'y repondre pas. Vous joués dans nôtre commerce epistolaire le role de Socrate, en
detruisant par des questions simples des arguments, que j'avois cru les plus forts; j'aurois celui des Sophistes
si je pretendois à Vous enseigner quelque chose, moi, qui n'ai fait, que les premiers pas dans les champs de la Philo-
sophie, qui tremble à chaque fois, que je leve le pié, pour avancer plus loin, et qui trop instruit par mes dangers pas
sés, reconnois tres bien le terrain glissant, où je me trouve et le peu de force, que j'ai, pour m'y soutenir. Permettés
plutôt, Monsieur, que je prenne le role d'un des disciples de ce grand homme, et que je Vous propose naturelle-
ment les idées, qui me viennent sur les differentes matieres, qui font l'objet de nôtre correspondance. Vous aurés
soin, qu'il n'en naisse de monstre, en faisant le metier, que Socrate exercoit avec tant de succés.
J'ai appellé des verités au dessus de la raison, celles, que la raison n'auroit jamais decouvert, puisque les premisses
lui êtoient inconnues. Vous doutés 1) qu'on puisse prouver d'une proposition quelconque, qu'elle soit une telle verité,
2) qu'il y a de telles verités dans l'Ecriture Sainte.
1/ Si on vouloit prouver a priori, qu'une verité est au dessus de la raison humaine, il faudroit connoitre distincte-
ment toute la force de la raison humaine dans sa plus grande perfection, le degré jusqu'où elle peut s'elever et le degré
de capacité, qu'il faut avoir, pour decouvrir une verité, qu'on soutient être au dessus de la raison humaine. Il faudroit
aprés cela pouvoir demontrer, que les dernieres qualités et celles, qui sont une consequence necessaire de la raison humai-
ne se contredisent, et ne peuvent pas être dans le même objet. Il est facile à voir, qu'une telle demonstration est impos-
sible. Comment voulons nous, qui ne connoissons pas bien nos propres forces, juger de celles d'autrui, de tout le genre
humain; comment voulons nous pretendre à connoitre les qualités, qu'il faut avoir, pour decouvrir des premisses, incon-
nues à la raison humaine, puisqu'apres cette decouverte nous saurions le chemin sur lequel on peut parvenir à la con-
noissance de ces premisses, et les verités au dessus de la raison cesseroient d'être telles; comment enfin comparer des choses
ensemble, dont nous connoissons si peu? Si nous choisissons la demonstration a posteriori, il sera egalement difficile de
prouver, qu'une verité est entièrement au dessus de la raison humaine. Il faudroit savoir par des temoignages surs, jus-
qu'ou la raison humaine dans tous les siecles et dans toutes les nations a poussé ses decouvertes, et en [...]
inferer avec certitude les progrés, qu'elle pourra faire encore. Une demonstration exacte est rigide me paroit [...]
dans ce cas aussi impossible, que dans la plupart des objets de notre connoissance. Mais ne pourroit-on p[...]
juger par les ecrits d'un certain tems; qui nous restent et par le temoignage d'historiens dignes de foi d'une [...]-
re
probable, ce que dans ce tems a êté portée ou au dessus de la raison humaine? ne pourroit-on pas après un e[...]-
men mûr de l'êtat actuel des Sciences et des Arts inferer à peu près ce, que la raison humaine peut decou[...]
dans le siecle ou nous vivons ou non? N'est-il pas probable que la doctrine de la satisfaction de Jesus-C[...]
êtoit une verité au-dessus de la raison du tems, que notre Sauveur parut, et que celle de la conciliation [...]
Prescience Divine avec la liberté de l'homme l'est encore?
2/ Pour se convaincre, qu'il y a dans l'Ecriture Sainte des verités au dessus de la raison, il faut com[...]
sa doctrine avec celle, qui êtoit reçue alors parmi les hommes. Je ne parle pas du commun des hommes, [...]
des Philosophes les plus eclairés. Du tems, que les Prophetes d'Israël prechoient l'unité et les perfec[...]
de Dieu, le reste du monde croupissoit dans une honteuse ignorance; il n'y avoit, que les Egyptiens et les [...]-
byloniens, qui se distinguoient des autres peuples par quelques lumieres. Le bœuf Apis êtoit la souver[...]
Divinité des premiers et chés les seconds toute femme êtoit obligé par religion, de se prostituer une fois [...]
premier offrant. Dans les derniers tems des Rois de Juda les Grecs commencoïent à devenir une nation p[...]
Orpheus, Hesiode et Homere parurent; ils surent donner à leurs Poëmes un merite, qui fait encore l'ad[...]-
tion de tous les connoisseurs: mais quelles idées, bon Dieu, du supreme Être; ils semblent se croire obligés d'[...]
des autres perfections de leurs Dieux, ce qu'ils ajoutent à leurs puissance. Jupiter fait trembler l'O[...]-
pe d'un clin d'oeuil, mais il est le plus impudique, le plus rancunnier et en même tems le plus dupé [...]
les êtres. Le destin tient sa volonté liée avec des chaìnes pareilles, à celles, avec lesquelles ce maitre des [...]
et des hommes tient le Ciel et la terre. Junon parée de la ceinture de Venus, endort si bien ce souverain mai[...]
attendant, qu'il s'exhale en volupté dans les bras de sa megere, les Dieux inferieurs agissent directement cont[...]
ses volontés et ses defenses. Si l'Ecriture Sainte emploit quelquefois des termes, qui paroissent tenir un peu [...]
l'Anthropomorphisme 1/ ce n'est jamais, pour nous donner des idées si indignes de la Divinité, 2/ ce n'est que [...]
procurer aux hommes quelques idées des perfections Divines, qu'ils ne pouvoient obtenir, que par des choses sens[...]
puisque toutes nos idées se fondent en dernier lieu en celles, que les sens nous donnent et 3/ ce n'est qu'en rappellant
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à la mémoire des hommes, qu'ils doivent entendre ces idées spirituellement. Par tout ceci je crois
avoir droit de conclure, qu'il y a dans l'Ancien Testament beaucoup de verités au dessus de la raison humai-
ne de ce tems là. Si les Juifs avoient cultivé les Arts et les Sciences, on pourroit croire, que c'est la culture
de leur Esprit, qui les a guidés à la connoissance de ces verités; mais Vous les trouverés presque dans toutes
les Sciences humaines autant au dessous des autres peuples; qu'ils leurs êtoient superieurs dans ce qui
regarde la religion; il paroit donc, qu'ils ne pouvoient tenir ces idées, que d'une revelation. On peut faire le
même parallele entre les livres du Nouveau Testament et les ecrits des Philosophes contemporelsains. Socrate,
Platon et Ciceron dans quelques endroits ont eu des idées justes de DIEU et de la maniere, de le servir;
mais par les erreurs, où ils retombent si souvent, il paroit, que leur [...] fait de vains efforts pour
se debarrasser des erreurs monstrueuses du Paganisme. Si je voudrois même conceder, que c'est plû-
tôt à leur politique, qu'à leur defaut de lumieres, qu'il faudroit attribuer ces ecarts, je defie, qu'on
trouve parmi tous les ecrits des Philosophes Payens un corps de morale aussi parfait, que celui des Chre-
tiens. Mais si l'Ecriture Sainte renferme des verités au dessus de la raison humaine du tems, qu'elle
a êté écrit, nous y trouvons aussi des verités, qui sont bien au dessus de la nôtre. Telles sont entre autres
celles de notre redemtion, du secours, que DIEU nous prête par son Esprit, de la vie à venir p. Il est impos-
sible, que nous connoissions ces verités bien distinctement, puisque la liaison avec leurs premisses ne
nous êtant pas connue, elles ont beaucoup plus de cotés obscures pour nous, que les verités, que nous
decouvrons par nôtre raison. Il n'est pas même etonnant, qu'elles nous paroissent quelquefois contre
nôtre raison, mais il faut, que nous ne puissions jamais montrer cette contradiction et qu'il y ait tou-
jours plus de raisons pour, que contre elles. Il est vrai, que de cette façon nous ne pouvons jamais
être mathématiquement sur, que nous ne pourrions point y decouvrir des contradictions, si nos forces suffi-
soient à les analyser entièrement; mais de quelle verité avons nous cette sorte de certitude, et un grand
degré de probabilité ne suffit-il pas presque toujours, pour nous determiner?
Ce n'est ici, que le premier point de Votre lettre; les autres feront peut-être l'objet d'une autre reponse. je finis, en Vous
priant, de faire remettre l'incluse à la poste, si elle va encore en sureté vers ces contrées. à Magdebourg ce 12 Janvier
1762.
Vous m'avés ecrit deux lettres, si remplies de reflexions justes et philosophiques, deux qualités, qui devroient toujours être ensemble, mais qui ne le sont, que rarement, que si j'avois moins envie de m'instruire, que de briller, je trouverois mon avantage à n'y repondre pas. Vous joués dans nôtre commerce epistolaire le role de Socrate, en detruisant par des questions simples des arguments, que j'avois cru les plus forts; j'aurois celui des Sophistes si je pretendois à Vous enseigner quelque chose, moi, qui n'ai fait, que les premiers pas dans les champs de la Philosophie, qui tremble à chaque fois, que je leve le pié, pour avancer plus loin, et qui trop instruit par mes dangers passés, reconnois tres bien le terrain glissant, où je me trouve et le peu de force, que j'ai, pour m'y soutenir. Permettés plutôt, Monsieur, que je prenne le role d'un des disciples de ce grand homme, et que je Vous propose naturellement les idées, qui me viennent sur les differentes matieres, qui font l'objet de nôtre correspondance. Vous aurés soin, qu'il n'en naisse de monstre, en faisant le metier, que Socrate exercoit avec tant de succés.
J'ai appellé des verités au dessus de la raison, celles, que la raison n'auroit jamais decouvert, puisque les premisses lui êtoient inconnues. Vous doutés 1) qu'on puisse prouver d'une proposition quelconque, qu'elle soit une telle verité, 2) qu'il y a de telles verités dans l'Ecriture Sainte.
1/ Si on vouloit prouver a priori, qu'une verité est au dessus de la raison humaine, il faudroit connoitre distinctement toute la force de la raison humaine dans sa plus grande perfection, le degré jusqu'où elle peut s'elever et le degré de capacité, qu'il faut avoir, pour decouvrir une verité, qu'on soutient être au dessus de la raison humaine. Il faudroit aprés cela pouvoir demontrer, que les dernieres qualités et celles, qui sont une consequence necessaire de la raison humaine se contredisent, et ne peuvent pas être dans le même objet. Il est facile à voir, qu'une telle demonstration est impossible. Comment voulons nous, qui ne connoissons pas bien nos propres forces, juger de celles d'autrui, de tout le genre humain; comment voulons nous pretendre à connoitre les qualités, qu'il faut avoir, pour decouvrir des premisses, inconnues à la raison humaine, puisqu'apres cette decouverte nous saurions le chemin sur lequel on peut parvenir à la connoissance de ces premisses, et les verités au dessus de la raison cesseroient d'être telles; comment enfin comparer des choses ensemble, dont nous connoissons si peu? Si nous choisissons la demonstration a posteriori, il sera egalement difficile de prouver, qu'une verité est entièrement au dessus de la raison humaine. Il faudroit savoir par des temoignages surs, jus-
qu'ou la raison humaine dans tous les siecles et dans toutes les nations a poussé ses decouvertes, et en [pouvoir] inferer avec certitude les progrés, qu'elle pourra faire encore. Une demonstration exacte est rigide me paroit [donc] dans ce cas aussi impossible, que dans la plupart des objets de notre connoissance. Mais ne pourroit-on p[as] juger par les ecrits d'un certain tems; qui nous restent et par le temoignage d'historiens dignes de foi d'une [manie]re probable, ce que dans ce tems a êté portée ou au dessus de la raison humaine? ne pourroit-on pas après un e[xa]men mûr de l'êtat actuel des Sciences et des Arts inferer à peu près ce, que la raison humaine peut decou[vrir] dans le siecle ou nous vivons ou non? N'est-il pas probable que la doctrine de la satisfaction de Jesus-C[hrist] êtoit une verité au-dessus de la raison du tems, que notre Sauveur parut, et que celle de la conciliation [de la] Prescience Divine avec la liberté de l'homme l'est encore?
2/ Pour se convaincre, qu'il y a dans l'Ecriture Sainte des verités au dessus de la raison, il faut com[parer] sa doctrine avec celle, qui êtoit reçue alors parmi les hommes. Je ne parle pas du commun des hommes, [mais] des Philosophes les plus eclairés. Du tems, que les Prophetes d'Israël prechoient l'unité et les perfec[tions] de Dieu, le reste du monde croupissoit dans une honteuse ignorance; il n'y avoit, que les Egyptiens et les [Ba]byloniens, qui se distinguoient des autres peuples par quelques lumieres. Le bœuf Apis êtoit la souver[aine] Divinité des premiers et chés les seconds toute femme êtoit obligé par religion, de se prostituer une fois [au] premier offrant. Dans les derniers tems des Rois de Juda les Grecs commencoïent à devenir une nation p[olicée.] Orpheus, Hesiode et Homere parurent; ils surent donner à leurs Poëmes un merite, qui fait encore l'ad[mira]tion de tous les connoisseurs: mais quelles idées, bon Dieu, du supreme Être; ils semblent se croire obligés d'[ôter] des autres perfections de leurs Dieux, ce qu'ils ajoutent à leurs puissance. Jupiter fait trembler l'O[lym]pe d'un clin d'oeuil, mais il est le plus impudique, le plus rancunnier et en même tems le plus dupé [de tous] les êtres. Le destin tient sa volonté liée avec des chaìnes pareilles, à celles, avec lesquelles ce maitre des [Dieux] et des hommes tient le Ciel et la terre. Junon parée de la ceinture de Venus, endort si bien ce souverain mai[tre, qu'en] attendant, qu'il s'exhale en volupté dans les bras de sa megere, les Dieux inferieurs agissent directement cont[re] ses volontés et ses defenses. Si l'Ecriture Sainte emploit quelquefois des termes, qui paroissent tenir un peu [à] l'Anthropomorphisme 1/ ce n'est jamais, pour nous donner des idées si indignes de la Divinité, 2/ ce n'est que [pour] procurer aux hommes quelques idées des perfections Divines, qu'ils ne pouvoient obtenir, que par des choses sens[ibles,] puisque toutes nos idées se fondent en dernier lieu en celles, que les sens nous donnent et 3/ ce n'est qu'en rappellant
à la mémoire des hommes, qu'ils doivent entendre ces idées spirituellement. Par tout ceci je crois avoir droit de conclure, qu'il y a dans l'Ancien Testament beaucoup de verités au dessus de la raison humaine de ce tems là. Si les Juifs avoient cultivé les Arts et les Sciences, on pourroit croire, que c'est la culture de leur Esprit, qui les a guidés à la connoissance de ces verités; mais Vous les trouverés presque dans toutes les Sciences humaines autant au dessous des autres peuples; qu'ils leurs êtoient superieurs dans ce qui regarde la religion; il paroit donc, qu'ils ne pouvoient tenir ces idées, que d'une revelation. On peut faire le même parallele entre les livres du Nouveau Testament et les ecrits des Philosophes contemporains. Socrate, Platon et Ciceron dans quelques endroits ont eu des idées justes de DIEU et de la maniere, de le servir; mais par les erreurs, où ils retombent si souvent, il paroit, que leur [raison] fait de vains efforts pour se debarrasser des erreurs monstrueuses du Paganisme. Si je voudrois même conceder, que c'est plûtôt à leur politique, qu'à leur defaut de lumieres, qu'il faudroit attribuer ces ecarts, je defie, qu'on trouve parmi tous les ecrits des Philosophes Payens un corps de morale aussi parfait, que celui des Chretiens. Mais si l'Ecriture Sainte renferme des verités au dessus de la raison humaine du tems, qu'elle a êté écrit, nous y trouvons aussi des verités, qui sont bien au dessus de la nôtre. Telles sont entre autres celles de notre redemtion, du secours, que DIEU nous prête par son Esprit, de la vie à venir p. Il est impossible, que nous connoissions ces verités bien distinctement, puisque la liaison avec leurs premisses ne nous êtant pas connue, elles ont beaucoup plus de cotés obscures pour nous, que les verités, que nous decouvrons par nôtre raison. Il n'est pas même etonnant, qu'elles nous paroissent quelquefois contre nôtre raison, mais il faut, que nous ne puissions jamais montrer cette contradiction et qu'il y ait toujours plus de raisons pour, que contre elles. Il est vrai, que de cette façon nous ne pouvons jamais être mathématiquement sur, que nous ne pourrions point y decouvrir des contradictions, si nos forces suffisoient à les analyser entièrement; mais de quelle verité avons nous cette sorte de certitude, et un grand degré de probabilité ne suffit-il pas presque toujours, pour nous determiner?
Ce n'est ici, que le premier point de Votre lettre; les autres feront peut-être l'objet d'une autre reponse. je finis, en Vous priant, de faire remettre l'incluse à la poste, si elle va encore en sureté vers ces contrées. à Magdebourg ce 12 Janvier 1762.