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J'ai recu Vos deux dernieres lettres aussi bien que les Annales Typographiques et la Traduction
de l'Iliade par Bitaubé1. Si une oreille Allemande, aussi peu accoutumé à la veritable prononciation
Francoise, que la mienne, peut juger de l'harmonie du style Francois, il me paroit, qu'il y en a beaucoup
dans l'Ouvrage de Mr. Bitaubé. Néantmoins je ne sai pas, s'il a bien fait, de tronquer et de changer
ainsi son Auteur. Ce n'est pas, parceque j'ai aucun doute sur les defauts d'Homere, que je desapprouve
cela, mais parceque je crois, qu'il est difficile, de retoucher le chef d'œuvre d'un maitre dans l'art, sans
le gater. Ordinairement il y peint si bien son propre caractere, celui de son siecle et de sa nation, qu'on ne
peut en retrancher rien, sans lui faire perdre ses beautés. Cette peinture naive des mœurs et des coutumes
est un des principaux merites d'Homere, comme tous les Critiques en conviennent; faire les acteurs de
ce Poëme plus polis, plus elegants, qu'ils ne le sont dans le Poëte Grec, c'est lui ôter une grande partie de
sa vraisemblance. Je n'ai encore lu, que le premier livre de cette nouvelle traduction; je tacherai, de confirmer
ce, que j'ai dit par un exemple, tiré de ce livre. Nestor est decrit toujours dans Homere, comme un Prince
à qui beaucoup de bon sens naturel, l'age et une longue experience ont acquis une grande autorité par-
mi les Grecs. C'est conformement à ce caractere, qu'Homere le fait parler, lors qu'il se leve dans le Concile
des Grecs, pour appaiser la querelle d'Achille et d'Agamemnon. Il fait voir son bon cœur, en deplo-
rant avec une effusion de cœur les maux, que cette desunion causeroit; il tache d'etablir son autorité par
le credit, qu'il a eu sur l'esprit des plus fameux héros de l'antiquité, et sa memoire, lui fournissant à cette
occasion plusieurs faits memorables de ces héros, il ne peut resister à l'envie si naturelle aux vieillards, de
conter et de se faire valoir; enfin il conseille à Agamemnon, de renvoyer Chryseis et de ne pas enlever Brisëis,
en le prenant par son foible, et en lui faisant entendre, que lui, Chef de tant de vaillants Princes, auroit moins
de peine à surmonter ses passions, qu'Achille, dont il tacheroit encore d'appaiser la fougue par ces discours.
J'ai lu toujours avec plaisir ce discours dans la traduction de Pope, /car Vous savés, que je ne puis pas le
lire dans l'Original/ mais je l'ai entierement méconnu dans cette nouvelle Traduction. Au feu, à
la vivacité de son discours je crois entendre parler un jeune guerrier, et je suis tout etonné, quand il exige du
respêt pour son grand age et quand il parle des grands hommes du siecle passé. Tant il est vrai, que la regle
de Horace: Intererit multum, davusne loquatur, an heros, maturusne senex, an adhuc florente ju-
venta fervidus.2 est fondée dans la nature, et tant il est dangereux, de vouloir retrancher des passages, qu'on croit
foibles et languissantes. La fin de ce discours est encore entierement differente dans les deux traductions.
Agamemnon auroit eu sujet de se trouver choqué par les dernieres paroles; que Mr. Bitaubé fait dire à Nestor,
au lieu, qu'il devoit être flatté par celles, que Pope met dans la bouche de ce sage vieillard. Vous excuserés,
Monsieur, ce long raisonnement; je n'ai point l'age de Nestor, pour pouvoir me servir d'excuse; mais j'[...]
une, qui est encore plus forte; c'est l'indulgence de mon ami, et la permission, qu'il m'a donné, de lui
communiquer les reflexions, que ma lecture me suggere. Je vous envois une feuille litteraire, qui
paroit ici toutes les semaines à la suite des gazettes politiques; Vous y trouverés un extrait de la
traduction d'Ocellus Lucanus par le Marquis d'Argens, qui me paroit assés bien fait, au moins [...]
a t'on observé cette decence et ce ton d'impartialité, que les Journalistes n'oublient, que trop souvent.
Si la proclamation de la treve avec les Russes s'est faite avec autant de solennité à Berlin, que Vous
m'avés marqué dans Votre derniere lettre, que cela devoit se faire, il est etonnant, qu'on ne songe pas [...]
faire la même chose ici. La Marechalle Schmettau, qui est arrivée avanthier ici, m'a confirmé, tout [...]
>que Vous m'avés ecrit sur ce sujet, que sur l'imprudence du Comte Gotter, qui a fait envoyer une estafette
à Mr. D'Ahlefeldt. Vale et fave.
2 Horaz, Ars Poetica, Verse 113 bis 128.
J'ai recu Vos deux dernieres lettres aussi bien que les Annales Typographiques et la Traduction de l'Iliade par Bitaubé1. Si une oreille Allemande, aussi peu accoutumé à la veritable prononciation Francoise, que la mienne, peut juger de l'harmonie du style Francois, il me paroit, qu'il y en a beaucoup dans l'Ouvrage de Mr. Bitaubé. Néantmoins je ne sai pas, s'il a bien fait, de tronquer et de changer ainsi son Auteur. Ce n'est pas, parceque j'ai aucun doute sur les defauts d'Homere, que je desapprouve cela, mais parceque je crois, qu'il est difficile, de retoucher le chef d'œuvre d'un maitre dans l'art, sans le gater. Ordinairement il y peint si bien son propre caractere, celui de son siecle et de sa nation, qu'on ne peut en retrancher rien, sans lui faire perdre ses beautés. Cette peinture naive des mœurs et des coutumes est un des principaux merites d'Homere, comme tous les Critiques en conviennent; faire les acteurs de ce Poëme plus polis, plus elegants, qu'ils ne le sont dans le Poëte Grec, c'est lui ôter une grande partie de sa vraisemblance. Je n'ai encore lu, que le premier livre de cette nouvelle traduction; je tacherai, de confirmer ce, que j'ai dit par un exemple, tiré de ce livre. Nestor est decrit toujours dans Homere, comme un Prince à qui beaucoup de bon sens naturel, l'age et une longue experience ont acquis une grande autorité parmi les Grecs. C'est conformement à ce caractere, qu'Homere le fait parler, lors qu'il se leve dans le Concile des Grecs, pour appaiser la querelle d'Achille et d'Agamemnon. Il fait voir son bon cœur, en deplorant avec une effusion de cœur les maux, que cette desunion causeroit; il tache d'etablir son autorité par le credit, qu'il a eu sur l'esprit des plus fameux héros de l'antiquité, et sa memoire, lui fournissant à cette occasion plusieurs faits memorables de ces héros, il ne peut resister à l'envie si naturelle aux vieillards, de conter et de se faire valoir; enfin il conseille à Agamemnon, de renvoyer Chryseis et de ne pas enlever Brisëis, en le prenant par son foible, et en lui faisant entendre, que lui, Chef de tant de vaillants Princes, auroit moins de peine à surmonter ses passions, qu'Achille, dont il tacheroit encore d'appaiser la fougue par ces discours.
J'ai lu toujours avec plaisir ce discours dans la traduction de Pope, /car Vous savés, que je ne puis pas le
lire dans l'Original/ mais je l'ai entierement méconnu dans cette nouvelle Traduction. Au feu, à la vivacité de son discours je crois entendre parler un jeune guerrier, et je suis tout etonné, quand il exige du respêt pour son grand age et quand il parle des grands hommes du siecle passé. Tant il est vrai, que la regle de Horace: Intererit multum, davusne loquatur, an heros, maturusne senex, an adhuc florente juventa fervidus.2 est fondée dans la nature, et tant il est dangereux, de vouloir retrancher des passages, qu'on croit foibles et languissantes. La fin de ce discours est encore entierement differente dans les deux traductions. Agamemnon auroit eu sujet de se trouver choqué par les dernieres paroles; que Mr. Bitaubé fait dire à Nestor, au lieu, qu'il devoit être flatté par celles, que Pope met dans la bouche de ce sage vieillard. Vous excuserés, Monsieur, ce long raisonnement; je n'ai point l'age de Nestor, pour pouvoir me servir d'excuse; mais j'[en ai] une, qui est encore plus forte; c'est l'indulgence de mon ami, et la permission, qu'il m'a donné, de lui communiquer les reflexions, que ma lecture me suggere. Je vous envois une feuille litteraire, qui paroit ici toutes les semaines à la suite des gazettes politiques; Vous y trouverés un extrait de la traduction d'Ocellus Lucanus par le Marquis d'Argens, qui me paroit assés bien fait, au moins [...] a t'on observé cette decence et ce ton d'impartialité, que les Journalistes n'oublient, que trop souvent. Si la proclamation de la treve avec les Russes s'est faite avec autant de solennité à Berlin, que Vous m'avés marqué dans Votre derniere lettre, que cela devoit se faire, il est etonnant, qu'on ne songe pas [à] faire la même chose ici. La Marechalle Schmettau, qui est arrivée avanthier ici, m'a confirmé, tout [ce] >que Vous m'avés ecrit sur ce sujet, que sur l'imprudence du Comte Gotter, qui a fait envoyer une estafette à Mr. D'Ahlefeldt. Vale et fave.
2 Horaz, Ars Poetica, Verse 113 bis 128.