Briefe und Texte
aus dem intellektuellen
Berlin um 1800

Brief von Adolf von Buch an Louis de Beausobre (Dresden, 10. August 1764)

 

 

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      Monsieur et très cher Ami,

      Vous venés, de m'envoyer des vers dignes de la plume de Chaulieu; je vais Vous envoyer un Conte triste et trai-
      nant, mais s'il est moins beau, que Vos vers, il vous marquera au moins mon désir à Vous entretenir.

      Timarethe, Athenien, s'êtoit appliqué dés sa jeunesse aux Sciences, qui pouvoient le rendre propre à servir sa
      patrie. Il avoit frequenté les ecoles de toutes les sectes de Philosophie, qui fleurissoient alors, et il avoit rapporté
      de son voyage de Sicile des connoissances aussi solides, qu'etendues sur l'agriculture, le Commerce et les arts. A son
      retour il presenta ses services à sa patrie; mais un destin ennemi paroissoit l'éloigner autant des emplois, que son
      desir, de se rendre un citoyen utile, l'y portoit. S'êtant determiné, à rechercher une place parmi les Archontes,
      ceux, qui pouvoient l'aider, à y parvenir, le payoient de mauvaises excuses, ou d'un silence dedaigneux. Il y avoit
      de ce tems à Athenes un Orateur, nommé Nicias, qui par l'adresse insinuante de ces harangues savoit entrai-
      ner le peuple de cette ville à tout ce qu'il vouloit; mais son affranchi Eutyches s'êtoit acquis autant de
      pouvoir son esprit, qu'il l'esprit de Niciascelui-ci, que celui-ci en avoit sur l'assemblée des Atheniens. C'êtoit à cet affranchi, que s'adressoient
      tous ceux, qui vouloient obtenir quelque chose du peuple d'Athenes par le moyen de Nicias. Un ami de Tima-
      rethe lui conseilla, de gagner Eutyches, en lui offrant cinquante talens, et se chargea lui même de la Commis-
      sion. Cet offre fut rejetté au commencement avec hauteur; peu à peu Eutyches se radoucit, et promit à Tima-
      rethe, de le servir; mais Vous serés, lui dit-il, le plus jeune des Archontes, il est juste, que vous laissiés les emol-
      uments de Votre charge à Vos Collegues. Timarethe, content de cette entrevue, retourna chés lui; là, diverses
      reflexions vinrent l'assaillir. Tu vas avoir une place considerable de l'êtat, tu auras occasion, de satisfaire tes
      vœux, en servant la patrie, tu parviendras à un etablissemnt, qui t'assure un rang et une subsistance pour l'ave-
      nir: Lesbia, la charmante, la riche Lesbia ne refusera plus ta main, et sera bien aise, de t'embrasser, comme Ar-
      chonte. Mais tout succedera t'il à tes vœux; les moyens, que tu prends, peuvent-ils être justifiés aux yeux
      de la Philosophie? as-tu songé à l'importance et à la durée de l'engagement, que tu prends? Plongé dans de
      telles et semblables reflexions; il se promena par les rues d'Athenes d'un air reveur et triste, lorsque la voix

      rauque d'un Cynique luie tira de cette espece de revesa meditation. Jeune homme, lui cria ce sectateur de [...]-
      ne
      , quel sujet t'inquiete? brise les liens, que les hommes se sont attachés en formant des societés; appre[...]
      habiter le tonneau de mon maitre, et tu seras aussi heureux, que moi. Ce discours fit peu d'impression [...]
      Timarethe, mais il le fit souvenir, qu'il êtoit vis-à-vis de la porte d'un stoicien, dont il avoit ecouté [...]
      dans sa jeunesse; il entra et consulta son ancien maitre. Ce Philosophe lui fit un long et grave discours [...]
      bonheur du Sage, plus grand, que tous les Archontes, qui seul ne sentoit point les incommodités de la vie, [...]
      insensible à la faim et au soif, pouvoit s'ecrier même au milieu des peines les plus aigues de la goute: [...] -
      leur, tu ne me feras jamais convenir, que tu es un mal. Pourquoi n'aspirés vous pas, continua t'il, [...]
      supreme felicité, et quels soins plus importants peuvent vous en detacher? Il fit un long raisonnement [...]
      les vices et sur les crimes, et il finit, en voulant prouver, que comme tous ces transgressions de la Loi [...]
      egales, il valoit autant egorger son ami, son parent, son bienfaiteur, que de corrompre un lache aff[...]
      Quelque specieuse, que fut cette declamation, Timarethe crut y trouver trop de Sophismes, pour y [...] -
      escer. Il sortit de la maison, agité des mêmes irresolutions. À peine avoit-il fait quelques pas, qu'[...]
      rencontra un de ses anciens Compagnons d'etude, qui, voyant sa melancholie, lui proposa, pour la [...] -
      per une promenade dans son jardin. Il le mena dans un bosquet charmant, où les arbres et les [...]
      d'alentour repandoient un parfum delicieux; une fontaine d'eau vive, en se précipitant d'une pe[...]
      hauteur, se partageoit en plusieurs petits ruisseaux et rafraichissoit les brulantes chaleurs d'êt[...]
      en même tems, qu'elle enchantoit les oreilles par son doux murmure; le chant diversifié de diffe[...]
      oiseaux anima cette belle scene, un le gazon frais et uni invita à s'y coucher et à profiter de bea[...]
      que l'art et la nature avoient rassemblées dans cet endroit. Une compagnie charmante vint b[...]
      joindre nos Philosophes, des hommes d'esprit, dont les saillies ne blessoient point la religion et [...]
      mœurs, qui savoient aussi bien discuter une matiere grave, qu'entonner une Ode Anacréontique, [...]
      plaisantoïent finement, sans offenser ni le present, ni l'absent, et qui savoient donner un ton an[...]
      la conversation, sans recourir aux sales equivoques et aux plattitudes; des femmes, qui avoient [...]
      de pudeur, que de beauté, modestes sans pruderie, vives sans emportement, gayes sans indecence. Tel [...]

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      le Cercle, qui s'assembla dans le jardin du disciple d'Epicure autour d'une table servie delicatement
      et assaisonnée par la frugalité, qui y regnoit[am Rande: et où la frugalité y regnoit en même tems]. Un gobelet de vin mousseux, couronné de fleurs, qui fit la
      ronde, augmenta la bonne humeur de la societé, et y etablit une confiance mutuelle. Le chagrin de Timare-
      the commença à se dissiper; son ami, qui s'en apperçut, lui dit, en l'embrassant; tels sont, cher Ami, les pre-
      ceptes, que nous avons reçus de notre maitre, jouir des plaisirs, qui ne laissent pas des remords, voilà la vraye
      volupté, le souverain bien, suis notre exemple et sois heureux. Timarethe n'avoit pas besoin de ces conseils; son ame
      enyvrée des plaisirs, qu'elle avoit goutés, en conserva l'empreinte, et les reproduisit dans un songe
      agréable. Le reveil du lendemain fut bien different de l'êtat heureux de la nuit. Timarethe se replongea dans
      ses reflexions. Chremes, se disoit-il, a raison de vanter sla felicité, riche, qu'il est, il sait jouir de ses thresors; mais
      moi, qui n'ai point ces jardins, ce vin delicieux, puis-je imiter son exemple? Le souverain bien est-il donc uni-
      quement fait pour ceux, que l'aveugle fortune a comblé de lses dons! D'ailleurs ces plaisirs continuels,
      qui ne sont pas merités par des travaux, ne perdront-ils pas de leur vivacité? Faut-il se plonger dans l'oisi-
      veté, seretirer des affaires et renoncer à servir sa patrie, ses amis, son prochain, pour être parfaitement heu-
      reux? Ces doutes reveillerent son inquietude; il resolut de consulter un Philosophe de la secte Academicien-
      ne, secte, qui, moins decisive, que les autres, lui avoit paru toujours meriter la preference. Aprés lui avoir exposé son
      cas, le Philosophe lui repondit: Il est beau, cher Timarethe, de servir sa patrie, d'y employer ses forces,
      sa santé, sa vie; la Nature en nous formant sociables, et en nous montrant les plus grands biens dans cette
      union, qu'on nomme Republique, nous a instruit de ce devoir; mais songés, que Vous entreprenés de servir
      un peuple aussi leger, qu'ingrat; il bannît Aristide, parceque tout le monde disoit du bien de lui, il con-
      damne des Generaux, qui, pour poursuivre une victoire, ont negligé d'enterrer des morts; ne craignés Vous
      point, de Vous forger des chaines, que Vous ne pourrés rompre, quand Vous le voudrés? avés Vous assés de force
      pour faire le bien pour le bien même, sans esperer des honneurs, des richesses, des applaudissements, pour mepri-
      ser le jugement du peuple, qui interprete mal les meilleures intentions, pour ne pas faire cas de l'envie de
      Vos collegues, qui Vous hairont d'autant plus, que Vous êtes moins digne de l'être? allés alors, entrés dans
      cette glorieuse carriere, ne Vous degoutés pas, de faire du bien à des ingrats, mais songés, songés encore, que le
      chemin, que Vous prenés, pour arriver à ce poste, Vous impose de redoubler de precaution. Vous donnés de l'argent

      à Eutyches, souvenés Vous, qu'un homme, qui prend de l'argent est à demi trompeur; aprés avoir reçu Vos [...]
      talents, voudra t'il, pourra t'il même executer sa promesse? Supposé qu'il le seraVous tienne parole, la moindre fausse demar[...]
      que Vous ferésde Votre part, fera crier le public, que Vous avés acheté un poste, que Vous ne pouvés remplir; les mechants e[...]
      seront toutes leurs basses menées par l'exemple d'un homme de bien, qui s'est frayé le chemin à une charge par [...]
      l'argent. Croyés Vous pouvoir Vous premunir contre des jugements iniques, et avés Vous assés de fermeté pour [...]-
      ver ceux, que Vous ne pourrés eviter, dans ce cas il est bien louable, de n'epargner pas même son argent, pour pa[...]
      à un poste, qui nous met en êtat, de servir la patrie. Vous cherchés en même tems un êtablissement, mais êtes Vou[...]
      sûr, que Vos Collegues seront plus disposés dans la suite de Vous faire percevoir les emoluments de Votre charge, q[...]
      ne le sont à present, à moins, que Vous n'ayés des assurances positives. Enfin l'union avec Lesbia sera t'elle touj[...]
      aussi desirable à Vos yeux, qu'elle est à presenta êté jusqu'ici, et la possession d'une femme, que Vous prenés par interêt, n'am[...]
      t'elle pas les plaisirs; que Vous Vous en promettés, et au milieu des richesses ne Vous fera t'elle pas regretter [...]
      mediocrité presente? Ce sont là mes reflexions, cher Timarethe, que je Vous ai communiquées avec la franchise, [...]
      m'est ordinaire, et que Vous avés demandée de moi. Me voilà bien conseillé, s'ecria Timarethe, en rentra[...]
      lui; chacun raisonne selon les principes, qu'il a adoptés, selon ses passions et ses prejugés. Personne ne sa[...]
      mettre à la place de son ami, sentir ses inclinations, ses besoins et ses idées, juger sainement de sa situation.
      Au lieu, de consulter ces vains raisonneurs, je vais sonder mon propre cœur, péser toutes les circonstances[...]
      prendre ma resolution moi même.

      Claudite jam rivulos, pueri, sat prata biberunt. C'est avec ce Vers, que l'Auteur finit son conte; j'[...]
      eu envie, de le lui rappeller depuis longtems et d'y ajouter : qui ne sait se borner ne sût jamais ecrire, mais enfin il faut pardonner quelque chose aux Auteurs.

      Monsieur et très cher Ami,

      Vous venés, de m'envoyer des vers dignes de la plume de Chaulieu; je vais Vous envoyer un Conte triste et trainant, mais s'il est moins beau, que Vos vers, il vous marquera au moins mon désir à Vous entretenir.

      Timarethe, Athenien, s'êtoit appliqué dés sa jeunesse aux Sciences, qui pouvoient le rendre propre à servir sa patrie. Il avoit frequenté les ecoles de toutes les sectes de Philosophie, qui fleurissoient alors, et il avoit rapporté de son voyage de Sicile des connoissances aussi solides, qu'etendues sur l'agriculture, le Commerce et les arts. A son retour il presenta ses services à sa patrie; mais un destin ennemi paroissoit l'éloigner autant des emplois, que son desir, de se rendre un citoyen utile, l'y portoit. S'êtant determiné, à rechercher une place parmi les Archontes, ceux, qui pouvoient l'aider, à y parvenir, le payoient de mauvaises excuses, ou d'un silence dedaigneux. Il y avoit de ce tems à Athenes un Orateur, nommé Nicias, qui par l'adresse insinuante de ces harangues savoit entrainer le peuple de cette ville à tout ce qu'il vouloit; mais son affranchi Eutyches s'êtoit acquis autant de pouvoir l'esprit de celui-ci, que celui-ci en avoit sur l'assemblée des Atheniens. C'êtoit à cet affranchi, que s'adressoient tous ceux, qui vouloient obtenir quelque chose du peuple d'Athenes par le moyen de Nicias. Un ami de Timarethe lui conseilla, de gagner Eutyches, en lui offrant cinquante talens, et se chargea lui même de la Commission. Cet offre fut rejetté au commencement avec hauteur; peu à peu Eutyches se radoucit, et promit à Timarethe, de le servir; mais Vous serés, lui dit-il, le plus jeune des Archontes, il est juste, que vous laissiés les emoluments de Votre charge à Vos Collegues. Timarethe, content de cette entrevue, retourna chés lui; là, diverses reflexions vinrent l'assaillir. Tu vas avoir une place considerable de l'êtat, tu auras occasion, de satisfaire tes vœux, en servant la patrie, tu parviendras à un etablissemnt, qui t'assure un rang et une subsistance pour l'avenir: Lesbia, la charmante, la riche Lesbia ne refusera plus ta main, et sera bien aise, de t'embrasser, comme Archonte. Mais tout succedera t'il à tes vœux; les moyens, que tu prends, peuvent-ils être justifiés aux yeux de la Philosophie? as-tu songé à l'importance et à la durée de l'engagement, que tu prends? Plongé dans de telles et semblables reflexions; il se promena par les rues d'Athenes d'un air reveur et triste, lorsque la voix

      rauque d'un Cynique le tira de sa meditation. Jeune homme, lui cria ce sectateur de [Dioge]ne, quel sujet t'inquiete? brise les liens, que les hommes se sont attachés en formant des societés; appre[ns à] habiter le tonneau de mon maitre, et tu seras aussi heureux, que moi. Ce discours fit peu d'impression [sur] Timarethe, mais il le fit souvenir, qu'il êtoit vis-à-vis de la porte d'un stoicien, dont il avoit ecouté [les leçons] dans sa jeunesse; il entra et consulta son ancien maitre. Ce Philosophe lui fit un long et grave discours [sur le] bonheur du Sage, plus grand, que tous les Archontes, qui seul ne sentoit point les incommodités de la vie, [et qui,] insensible à la faim et au soif, pouvoit s'ecrier même au milieu des peines les plus aigues de la goute: [o dou] leur, tu ne me feras jamais convenir, que tu es un mal. Pourquoi n'aspirés vous pas, continua t'il, [à cette] supreme felicité, et quels soins plus importants peuvent vous en detacher? Il fit un long raisonnement [sur] les vices et sur les crimes, et il finit, en voulant prouver, que comme tous ces transgressions de la Loi [sont ] egales, il valoit autant egorger son ami, son parent, son bienfaiteur, que de corrompre un lache aff[ranchi.] Quelque specieuse, que fut cette declamation, Timarethe crut y trouver trop de Sophismes, pour y [acqui] escer. Il sortit de la maison, agité des mêmes irresolutions. À peine avoit-il fait quelques pas, qu'[il ] rencontra un de ses anciens Compagnons d'etude, qui, voyant sa melancholie, lui proposa, pour la [dissi] per une promenade dans son jardin. Il le mena dans un bosquet charmant, où les arbres et les [fleurs ] d'alentour repandoient un parfum delicieux; une fontaine d'eau vive, en se précipitant d'une pe[tite ] hauteur, se partageoit en plusieurs petits ruisseaux et rafraichissoit les brulantes chaleurs d'êt[é ] en même tems, qu'elle enchantoit les oreilles par son doux murmure; le chant diversifié de diffe[rents ] oiseaux anima cette belle scene, le gazon frais et uni invita à s'y coucher et à profiter de bea[utés] que l'art et la nature avoient rassemblées dans cet endroit. Une compagnie charmante vint b[ientôt] joindre nos Philosophes, des hommes d'esprit, dont les saillies ne blessoient point la religion et [les ] mœurs, qui savoient aussi bien discuter une matiere grave, qu'entonner une Ode Anacréontique, [qui ] plaisantoïent finement, sans offenser ni le present, ni l'absent, et qui savoient donner un ton an[imé à ] la conversation, sans recourir aux sales equivoques et aux plattitudes; des femmes, qui avoient [autant ] de pudeur, que de beauté, modestes sans pruderie, vives sans emportement, gayes sans indecence. Tel [fut ]

      le Cercle, qui s'assembla dans le jardin du disciple d'Epicure autour d'une table servie delicatement et où la frugalité y regnoit en même tems. Un gobelet de vin mousseux, couronné de fleurs, qui fit la ronde, augmenta la bonne humeur de la societé, et y etablit une confiance mutuelle. Le chagrin de Timarethe commença à se dissiper; son ami, qui s'en apperçut, lui dit, en l'embrassant; tels sont, cher Ami, les preceptes, que nous avons reçus de notre maitre, jouir des plaisirs, qui ne laissent pas des remords, voilà la vraye volupté, le souverain bien, suis notre exemple et sois heureux. Timarethe n'avoit pas besoin de ces conseils; son ame enyvrée des plaisirs, qu'elle avoit goutés, en conserva l'empreinte, et les reproduisit dans un songe agréable. Le reveil du lendemain fut bien different de l'êtat heureux de la nuit. Timarethe se replongea dans ses reflexions. Chremes, se disoit-il, a raison de vanter la felicité, riche, qu'il est, il sait jouir de ses thresors; mais moi, qui n'ai point ces jardins, ce vin delicieux, puis-je imiter son exemple? Le souverain bien est-il donc uniquement fait pour ceux, que l'aveugle fortune a comblé de ses dons! D'ailleurs ces plaisirs continuels, qui ne sont pas merités par des travaux, ne perdront-ils pas de leur vivacité? Faut-il se plonger dans l'oisiveté, seretirer des affaires et renoncer à servir sa patrie, ses amis, son prochain, pour être parfaitement heureux? Ces doutes reveillerent son inquietude; il resolut de consulter un Philosophe de la secte Academicienne, secte, qui, moins decisive, que les autres, lui avoit paru toujours meriter la preference. Aprés lui avoir exposé son cas, le Philosophe lui repondit: Il est beau, cher Timarethe, de servir sa patrie, d'y employer ses forces, sa santé, sa vie; la Nature en nous formant sociables, et en nous montrant les plus grands biens dans cette union, qu'on nomme Republique, nous a instruit de ce devoir; mais songés, que Vous entreprenés de servir un peuple aussi leger, qu'ingrat; il bannît Aristide, parceque tout le monde disoit du bien de lui, il condamne des Generaux, qui, pour poursuivre une victoire, ont negligé d'enterrer des morts; ne craignés Vous point, de Vous forger des chaines, que Vous ne pourrés rompre, quand Vous le voudrés? avés Vous assés de force pour faire le bien pour le bien même, sans esperer des honneurs, des richesses, des applaudissements, pour mepriser le jugement du peuple, qui interprete mal les meilleures intentions, pour ne pas faire cas de l'envie de Vos collegues, qui Vous hairont d'autant plus, que Vous êtes moins digne de l'être? allés alors, entrés dans cette glorieuse carriere, ne Vous degoutés pas, de faire du bien à des ingrats, mais songés, songés encore, que le chemin, que Vous prenés, pour arriver à ce poste, Vous impose de redoubler de precaution. Vous donnés de l'argent

      à Eutyches, souvenés Vous, qu'un homme, qui prend de l'argent est à demi trompeur; aprés avoir reçu Vos [50 ] talents, voudra t'il, pourra t'il même executer sa promesse? Supposé qu'il Vous tienne parole, la moindre fausse demar[che ] de Votre part, fera crier le public, que Vous avés acheté un poste, que Vous ne pouvés remplir; les mechants e[xcu] seront toutes leurs basses menées par l'exemple d'un homme de bien, qui s'est frayé le chemin à une charge par [de ] l'argent. Croyés Vous pouvoir Vous premunir contre des jugements iniques, et avés Vous assés de fermeté pour [bra]ver ceux, que Vous ne pourrés eviter, dans ce cas il est bien louable, de n'epargner pas même son argent, pour pa[arvenir ] à un poste, qui nous met en êtat, de servir la patrie. Vous cherchés en même tems un êtablissement, mais êtes Vou[s bien ] sûr, que Vos Collegues seront plus disposés dans la suite de Vous faire percevoir les emoluments de Votre charge, q[u'ils ] ne le sont à present, à moins, que Vous n'ayés des assurances positives. Enfin l'union avec Lesbia sera t'elle touj[jours ] aussi desirable à Vos yeux, qu'elle a êté jusqu'ici, et la possession d'une femme, que Vous prenés par interêt, n'am[ortira ] t'elle pas les plaisirs; que Vous Vous en promettés, et au milieu des richesses ne Vous fera t'elle pas regretter [Votre ] mediocrité presente? Ce sont là mes reflexions, cher Timarethe, que je Vous ai communiquées avec la franchise, [qui ] m'est ordinaire, et que Vous avés demandée de moi. Me voilà bien conseillé, s'ecria Timarethe, en rentra[nt chez ] lui; chacun raisonne selon les principes, qu'il a adoptés, selon ses passions et ses prejugés. Personne ne sa[it se ] mettre à la place de son ami, sentir ses inclinations, ses besoins et ses idées, juger sainement de sa situation. Au lieu, de consulter ces vains raisonneurs, je vais sonder mon propre cœur, péser toutes les circonstances[, et ] prendre ma resolution moi même.

      Claudite jam rivulos, pueri, sat prata biberunt. C'est avec ce Vers, que l'Auteur finit son conte; j'[aurais ] eu envie, de le lui rappeller depuis longtems et d'y ajouter : qui ne sait se borner ne sût jamais ecrire, mais enfin il faut pardonner quelque chose aux Auteurs.